J'avais déjà écrit un assez long texte sur le sujet, que je comptais proposer ici. Le voici donc :
Constation préliminaire : contrairement aux autres thématiques bien définies et sagement rangées dans leur genre respectif, celle des pouvoirs psi occupe une place particulière dans la SF en raison d'une plausibilité qui paraît (surtout aujourd''hui) bien plus discutable que celles de l'exploration spatiale, du cybermonde, de la génétique ou même du voyage dans le temps. Bien que rattaché à la science-fiction, le thème psi en est le plus marginal, et c'est sans doute le seul thème qui s'éloigne des spéculations/extrapolations du domaine strictement scientifique pour celui, plus douteux, des parasciences.
Bref, le thème psi serait, en quelque sorte, le cancre du genre, à la nature hybride, relégué au fond de la classe. Le fait que certaines oeuvres fantastiques l'utilise également (comme dans certains romans de Stephen King par exemple) renforce encore son statut ambivalent.
Les psi ne sont plus ce qu'ils étaient ?
Car s'il fait toujours recette dans la BD, les comics, leurs adaptations ciné et certaines séries TV, il semble que le thème se fasse plus rare dans les romans de science-fiction contemporains. En tout cas, des auteurs comme
Kim Stanley Robinson, Robert Charles Wilson, Greg Egan, Nancy Kress, Neal Stephenson, Robert Reed, Iain Banks, Scott Westerfeld, Stephen Baxter, Alaistair Reynolds, etc... ne s'y intéressent pas (d'après ce que j'en sais). Evidemment, la plupart de ces auteurs font partie d'un courant assez rationnaliste et matérialiste, et il existe peut-être d'autres auteurs de SF plus enclins à se laisser séduire par les "fantaisies psi" mais ils ne sont pas dominants.
En y regardant de plus près, on constate un fléchissement du thème à partir des années 80 (des auteurs comme
William Gibson, Greg Bear, Gregory Benford, ont d'autres sujets de préoccupation). Et, en tout cas, les quelques oeuvres des 80's ou d'aujourd'hui qui en font encore mention (comme un élément secondaire plutôt que comme sujet principal du roman, d'ailleurs) sont sans commune mesure avec le nombre de "romans psi" que l'on trouve dans les décennies précédentes. La récurrence du thème dans la littérature de SF dépendrait donc de la sensibilité d'une époque donnée ? Ainsi, il n'est sans doute pas étonnant que la SF des années 60 et 70, décennies particulièrement réceptive à tout ce qui s'apparente de près ou de loin au psychisme, voit une escalade des pouvoirs psi dans les romans de SF. J'en reparlerai plus bas.
On peut penser que dans ces décennies antérieures (et ce à partir des années 40), la possibilité que l'homme puisse acquérir des pouvoirs psychiques inédits restaient du domaine de l'envisageable, surtout en la légitimant grâce cette fameuse affirmation bien connue selon laquelle l'être humain n'utiliserait que 10% de son cerveau. Dans ce cas, on pouvait se mettre à rêver à toutes les merveilles qui pouvaient se cacher dans les 90% restants. Et les auteurs de SF d'extrapoler sur ces supposées possibilités.
Hélas, cette affirmation a depuis été démentie par les scientifiques, même si on nous la sert encore aujourd'hui comme véridique.
Petit condensé chronologique
La SF des années 40 et surtout 50 voient déjà l'apparition de certains "classiques psi" (
L'homme démoli d'Alfred Bester,
A la poursuite des Slans de Van Vogt,
Le pouvoir de Franck M. Robinson, toute l'oeuvre de Théodore Sturgeon, et en particulier ses deux romans
Cristal qui songe et
Les plus qu'humains) et le thème continue sur sa lancée dans les années 60 et (un peu) au début des années 70.
La société (du moins celle de cette sub-culture qui émerge au début des sixties) est particulièrement sensible à tout ce qui touche le psychisme et la possibilité d'en élargir les frontières : pas seulement la parapsychologie mais aussi les nouvelles formes de perception, notamment grâce à certains hallucinogènes, la méditation, les expériences sur l'isolation sensorielle, les cartes de Zener très à la mode, etc... Et, bien sûr, la musique pop-rock joue un rôle déterminant en faisant référence aux fameuses "portes de la perception" (
break on throught to the other side, vous connaissez la chanson) et autres incitations à "ouvrir son esprit".
La SF - genre "branché" qui, plus que tout autre, est le reflet d'une époque quand elle ne la précède pas - n'est pas en reste. On assiste à une présence assez marquée du thème - en parallèle avec celui des drogues - dans les romans SF de l'époque, notamment chez Dick où télépathes et précognitifs sont légion, mais aussi chez Silverberg, Zelazny, Frederic Polh, Frank Herbert.
Les années 70 - du moins les débuts - continuent sur cette lancée :
L'oreille interne de Silverberg,
Psi de Lester Del Rey,
Puces de Théodore Roszack et certains auteurs plus originaux (mais aussi à la limite de l'abscons) comme Ian Watson développe des théories comme la "méta-conscience", concept obscur difficilement accesssible mais qui a au moins le mérite de proposer un emploi moins puéril du thème (faire voler des assiettes avec son esprit n'est pas le propos de Watson) en l'inscrivant dans un ensemble cohérent.
Comme je l'ai déjà dit, les romans SF des années 80 délaissent en grande partie toutes ses élucubrations psi pour des sujets moins nébuleux (en écho au marasme socio-économique) et/ou un retour à une SF héritée des années 40, à travers de grandes fresques galactiques.
Pour cette nouvelle science-fiction, tout ce fatras mystico-psychique était devenu plutôt ringard. Place désormais au contexte bien plus terre-à-terre des mégalopoles sinistres du cyberpunk ou des envolées non plus psychiques mais toutes scientifiques vers les étoiles grâce à cette bonne "vieille" technologie qui fit son come-back. La télépathie, la télékinésie, la précognition étaient devenus des sujets assez fantaisistes sans doute indignes d'un auteur de SF "sérieux".
Le thème émigrera même vers le fantastique : Stephen King - auteur éminement fantastique, toujours moins à l'aise quand il s'aventure dans la SF - signe plusieurs romans portant sur les facultés parapsychiques :
Carrie, Shining, Charlie, Dead Zone, etc...
Charlie est, des quatre romans, celui qui garde malgré tout une influence de la SF puisque les parents de la fillette développent leurs facultés à la suite d'une expérience scientifique.
Ces romans seront adaptés au cinéma à la même époque et on produira d'autres films exploitant le thème, comme
Scanners ou
Furie, la plupart étant des films à succès. Dans
Au-delà du réel de Ken Russel, un scientifique peu orthodoxe (William Hurt) parvient, grâce à un caisson d'isolation sensorielle et l'utilisation de drogues, à régresser au niveau du primate de la préhistoire, et même au-delà. Ce film, bien que réalisé dans les années 80, me semble une assez bonne illustration des débordements (qui n'évitent pas toujours le ridicule) propres aux sixties (expériences sur la perception, mysticisme, hallucinogènes).
Comme quoi, le sujet gardait malgré tout un certain intérêt auprès du public mais traité sur un mode plus spectaculaire que spéculatif et proche du thriller avec ses effets racoleurs. La faculté psi n'était, d'ailleurs, plus le résultat d'une évolution "normale" de l'homme du futur (comme dans les romans de Dick ou de Van Vogt par exemple) mais plutôt la conséquence d'un accident (
Dead Zone), d'un hasard génétique difficilement expliquable (
Carrie, Shining, Furie). Bref, tout devenait beaucoup plus hasardeux, les psi étant alors considérés comme des erreurs de la nature, pour ne pas pas dire des monstres. Nous sommes bien loin des TP d'un Philip K. Dick, fonctionnaires aux facultés connues et admises par toute la société et engagés comme tels par des entreprises qui en font une utilisation très pragmatique. Une approche du thème devenu plus rare, sauf exceptions (car il y en a toujours, je suppose).
Enfin, en ce qui concerne la SF actuelle, j'en ai déjà parlé dans le préliminaire : d'après ce que j'en sais, les auteurs les plus marquants de ces dernières années en ont peu l'usage, sauf pour certains extraterrestres qui se voient dotés de quelques capacités psi (la télépathie le plus souvent). Leur nature inhumaine et radicalement étrangère au psychisme humain étant sans doute, pour ces auteurs, un moyen (un prétexte ?) plus acceptable de continuer à aborder un thème qui reste toujours, malgré tout, assez séduisant.
Le psi n'a pas dit son dernier mot : cinéma, séries TV et bandes dessinées
Le cinéma et les séries télé, en revanche, sont toujours acheteurs (et, en fait, l'ont toujours été, contrairement à la littérature). Plusieurs thrillers ont ainsi recours à des personnages dotés de facultés spéciales, pour aider la police à traquer les tueurs en série par exemple. Des séries télé comme
Medium, Les 4400, Heroes, Lost en reprennent certains éléments. Au cinéma, mentionnons la trilogie
X-Men,
Next ou encore
Jumper (se téléporter demande une capacité mentale particulière).
Et, bien sûr, on ne peut oublier
Star Wars et sa fameuse Force, le Jedi étant sans doute l'être psi le plus accompli de tous. Mais, comme chacun sait, les rapports de la saga lucasienne avec la "vraie" SF sont discutables.
Dans la bande dessinée franco-belge et le manga contemporains, la faculté paranormale demeure un sujet toujours vivace. Quelques exemples :
Phenomenum de Kaminka et Védrine, et son héros capable d'accéler ou de ralentir le temps (voir de le figer);
La malédiction de Zener de Jean-Christophe Grangé et Philippe Adamov, qui raconte les aventures d'une jeune femme (nous sommes à la fin des années 60, détail significatif) embarquée dans un projet parapsychologique inquiétant. Enfin,
Eternal Sabbath, un manga de Fuyumi Soryo, avec son "hacker mental", un jeune homme pouvant reprogrammer le cerveau des gens qu'il rencontre (effacer leurs souvenirs, en ajouter d'autres, les contrôler, etc...) comme on modifie un programme.
Merci de votre patience.