
FAUST - Les oeuvres littéraires - Les films
Introduction
Le mythe de Faust est un des plus célèbres et des plus vivaces mythes de l'histoire humaine, de par ses thèmes sous-jacents (le dépassement de soi, l'impossible savoir, la tentation du pouvoir et des plaisirs) et ses résonnances philosophiques et métaphysiques. Il représente aussi la part d'ombre de l'être humain, prêt à se damner pour surmonter sa pauvre condition de mortel. Il touche à l'universel, ce qui explique sa pérénité. Plus prosaïquement, il est aussi un sujet idéal pour la littérature et le cinéma fantastique à travers le biais duquel auteurs et cinéastes peuvent y dévelloper leurs préoccupations personnelles, qu'elles soient déclinées sous une approche dramatique ou humoristique.
En tout cas, comme tout les grands mythes, celui de Faust n'est pas prêt de disparaître. La preuve : le remake d'un classique faustien ("Le Diable et Daniel Webster") devrait prochainement sortir sur les écrans.
Note : j'ai tenu à ne placer dans ce fil que les oeuvres faustiennes les plus empreintes de fantastique (en accord avec les thèmes du forum). Raison pour laquelle je n'ai pas cru bon de mentionner, par exemple, le Docteur Faustus de Thomas Mann, un roman mainstream inspiré du mythe mais sans aucun élément fantastique, et d'autres oeuvres du même type (littérature ou cinéma). De même, il existe bien d'autres oeuvres qui font apparaître le diable mais où il n'est pas question de pacte, principe fondamental du mythe.
Retour aux sources
Au départ, il y a un conte populaire allemand, lui-même inspiré d'un personnage ayant réellement existé : un certain Johann Georg Sabellicus surnommé Maître ou Docteur Faust (1480 - 1540), un alchimiste allemand qui avait étudié la magie à l'université de Cracovie, en Pologne. Accusé de pratiquer la magie noire, d'un caractère violent et arrogant, il n'était guère en odeur de sainteté auprès de ses contemporains, d'autant que certains le suspectait d'avoir fait commerce avec le diable en personne. Bref, une réputation sulfureuse qui réunissait déjà tous les ingrédients du futur mythe. Sabellicus fut d'ailleurs jugé, condamné pour sorcellerie et exécuté en 1540. Le reste appartenait désormais à la légende.
Les oeuvres littéraires
Le mythe a inspiré d'innombrables auteurs (et compositeurs d'ailleurs) mais je m'en tiendrai ici aux oeuvres les plus notables.
La Tragique Histoire du docteur Faust, de Christopher Marlowe (1588)
Eclipsé par son compatriote et confrère Shaekespeare, Christopher Marlowe est pourtant, du moins chronologiquement, le premier grand écrivain élisabéthain. Sa version de Faust est également la première oeuvre littéraire importante consacrée au mythe, qui ne sera égalée (surpassée ?) que plus de deux siècles plus tard avec celle de Goethe.
Marlowe était un rebelle, un libertin, un païen, qui a mené une vie tumultueuse interrompue par une mort précoce. Aussi, son approche de la tragédie de Faust est quelque peu ambigüe. En effet, si sa conclusion montre bien l'illusion dans laquelle se fourvoie celui qui, à force d'orgeuil, veut dépasser les limites des connaissances humaines (une morale qu'on retrouvera dans toutes les déclinations du mythe jusqu'à aujourd'hui, le pacte avec le diable n'étant qu'un marché de dupe), il est certain que pour Marlowe, Faust représente néanmoins la figure brillante de l'homme révolté, de l'homme nouveau (nous sommes à la Renaissance, ne l'oublions pas) se dressant contre l'obscurantisme et le dogme de l'Eglise. Il ne fait aucun doute que l'auteur témoigne une vraie empathie pour son personnage, en faisant son porte-parole. En ce sens, le Faust de Marlowe est une oeuvre contestataire, même si sa conclusion est amère. L'approche de Goethe, plus romantique, sera assez différente.
Faust, de Goethe (1790, 1831)
Il existe en fait deux Faust écrit pas Goethe mais je me contenterai de la première, la plus connue (écrite en 1790), traduite par Gérard de Nerval en 1828.
L'histoire est a peu de chose près la même que celle de Marlowe. On y retrouve les éléments habituels (quête du savoir impossible, pacte avec Méphistophélès, quête des plaisirs et damnation) mais Goethe y introduit un personnage nouveau : Marguerite. Du fait, l'histoire prend à un moment une tournure plus sentimentale. Autres différence : ici, l'âme de Faust fait l'objet d'un pari entre Dieu et Méphisto lors du prologue. Mais au-delà de ces détails, c'est surtout sur le fond que la pièce de Goethe marque sa singularité. Alors que la version de Marlowe a presque des allures de "divertissement" (diabolique certes), le Faust de Goethe est plus philosophique, plus profond, plus réflexif sur la condition humaine. C'est sans doute ce qui explique que l'oeuvre de Goethe finira par supplanter celle de Marlowe auprès des littéraires et des intellectuels.
L'étrange histoire de Peter Schlemihl (Adelbert von Chamisso, 1814)

Peter Schlemihl vend, non pas son âme mais son ombre, à un mystérieux homme en gris (le diable ?) contre une bourse d'or inépuisable. A première vue, il semble s'agir d'une bonne affaire. Comparé à une âme, en effet, qu'est-ce qu'une ombre ? Rien du tout. Mais cette absence d'ombre, considérée bien vite comme une tare sociale, amène Peter Schlemihl a être rejeté par ses semblables. Exclu du monde des hommes, il est condamné à vivre en reclu, à l'abri de la lumière qui révèle sa nature honteuse.
Comme on le voit, le livre de Chamiso est avant tout une parabole, écrite sous la forme d'un conte, qui renouvelle de façon original le mythe faustien. Sauf qu'ici, il davantage question de l'identité de l'homme et de ses rapports avec la société, de la différence et de l'exclusion, que de philosophie et de métaphysique.
Cet aspect rend d'ailleurs ce conte d'une portée universelle plus proche des préoccupations de l'homme contemporain et laïque, tout en étant de plus d'une écriture plus accessible que les pièces "savantes" de Marlowe et de Goethe. Ajoutons que cette oeuvre est disponible dans la collection Librio pour 2€ (voir photo de couverture) et vous n'aurez plus aucune excuse de ne l'avoir pas encore lue.
Jack Faust (Michael Swanwick, 1997)
Ce roman touffu aborde le mythe en lui ajoutant un élément typiquement SF : l'uchronie. De plus, Mephistophélès se débarasse de ses attributs religieux et démoniaques pour devenir une entité extra-terrestre dont le nom même est une équation mathématique (!) mais qui n'en cherche pas moins la ruine des hommes. Deux idées originales qui apportent un sérieux coup de jeune à l'histoire et sur lesquelles repose un roman tout simplement époustouflant, complexe, drôle, émouvant, iconoclaste, évitant tout moralisme pesant, d'une intelligence acérée et dont le tour de force consiste à condenser en moins de trois cent pages cinq siècles d'évolution, qu'elle soit scientifique ou sociale.
Cinq siècles aussi dans la vie d'un seul homme, Jack Faust, qui, avec l'aide de Mephisto, mènera son époque (La Renaissance) à la révolution industrielle dans un raccourci fulgurant. Un Faust d'ailleurs moins égoïste que ses prédecesseurs, dont le projet de contrer l'obscurantisme et amener l'humanité vers les cîmes du progrès se heurte au scepticisme - voir aux quolibets - de ses contemporains. Mais qui, fidèle en cela au mythe, n'est pas non plus épargné par un certain orgueil qui menace ses bonnes intentions.
Un mot enfin sur ce Mephisto nouveau genre, personnage cynique, sarcastique et d'une belle truculence. Une oeuvre superbe, que je considère comme la meilleure contribution contemporaine au mythe.