Lumière humblement je te donne, maître John.
Après une carrière littéraire et science-fictionnelle bien remplie, marquée par le flamboyant "Ubik" en 1969, Philip K. Dick quitte la scène quelques années durant pour se soigner.
Il rencontre des personnes anéanties par la drogue et témoigne de ces rencontres fortes par un roman sombre en 1977, "A Scanner Darkly" (dont la "Substance mort", qui en fut la traduction, correspond à une mystérieuse substance "D", une drogue, comme "Death" dans sa déclinaison anglaise).
Dick y dénonce la drogue sans concession, par une allégorie sombre et pathétique qui, dans son adaptation au cinéma (annoncée comme très fidèle à son roman par les connaisseurs), vous
sèche et vous laisse sur le carreau de longues heures après la sortie de la salle.
Une production Clooney-Soderbergh qui s'avère être une honnête réussite.
L'empreinte du style de la narration Dickienne y est prégnante et ne saurait laisser présager de l'issue attendant le personnage joué par Keanu Reeves. Pas le temps de réfléchir.
La perdition des personnages dès le début du film nous entraîne avec eux dans l'expérience imaginaire de la drogue (de ses méfaits), nous prêtant presque à abandonner une étincelle d'éclat de rire au fil de la plus grande partie du film (une
drôlerie présente également dans le roman), à même de décourager quelques spectateurs non préparés à cet univers. Mais la chute arrive finalement et nous entraîne avec elle, menant l'expérience jusqu'au bout. Et là, le spectateur en arrive à oublier qu'il a des zigomatiques pour sourire et des larmes pour pleurer, il en oublie même ces touches de couleurs presque hallucinatoires qui recouvrent les personnages et les décors.
Ces retouches graphiques désorientent durant les premières minutes du film. S'adapter à la VO, lire les sous-titres, décoder les dialogues et monologues des personnages, s'immerger dans le décor au travers de cette couche de couleurs.
Les effets spéciaux, qui auraient paru absurdes par une image crue classique emballée dans les pixels d'une imagerie de synthèse coûteuse, laissent place à des images hallucinantes où un insecte chitineux finit par ne plus trancher sur une chevelure. Pas facile d'exprimer les sensations et l'émotion suggérées par ce film expérimental qui trouve le contrefort en cette oeuvre majeure de Dick.
Les adeptes de Dick vous le conseilleront tous. Si vous connaissez l'oeuvre de l'auteur (ce qui n'est naturellement pas un prérequis indispensable), cette nouvelle adaptation de l'une d'elles vous en rapprochera encore davantage.