PHILIP K. DICK : NOUVELLISTE OU ROMANCIER
L'avis de chacun varie....
ERWELYN - Je n'ai lu que 4 romans et donc j'attends de lire ce qui est encore en pile. Mais je dois dire que c'est surtout pour ses nouvelles que je le trouve très fort. Au même titre que
Bloch ou
Matheson.
CRYPTIDE -
Erwelyn a écrit:Je n'ai lu que 4 romans et donc j'attends de lire ce qui est encore en pile. Mais je dois dire que c'est surtout pour ses nouvelles que je le trouve très fort. Au même titre que Bloch ou Matheson.
C'est un parti pris intéressant car, en général, on parle plus de ses romans que de ses nouvelles. Et puis, il faut noter que
Dick avait l'habitude de réutiliser certaines de ses nouvelles pour les développer en romans (par ex.
Ubik a été rédigé à partir d'une nouvelle intitulée "
Ce que disent les morts"). Il lui arrivait parfois aussi d'en utiliser plusieurs pour un seul roman (ainsi
La vérité avant-dernière a été rédigé à partir de quatre (!) nouvelles :
Les défenseurs, A l'image de Yancy, Le Vétéran et
Le M inaltérable).
Tout ça pour dire que ses nouvelles étaient, chez lui, les fondements même de ses romans.
AEDE - Je préfère le
Dick romancier au
Dick nouvelliste.
Dick est soit surestimé soit sous-estimé, je trouve ! Il provoque les passions, cet auteur !
CEDRIC - En fait, d'une manière générale, je trouve
Dick surestimé, mais bon, c'est une question de préférences personnelles.
NEOCOBALT -
Cedric a écrit:En fait, d'une manière générale, je trouve Dick surestimé, mais bon, c'est une question de préférences personnelles.
Dire que
Dick est surestimé ne peut qu'être vrai. Car un tel jugement est subjectif, comme tout jugement à mon sens, quelque qu'il soit.
Dick, génie ou forçat, certains l'ont même cru schizophrène -
Dick se serait lui-même posé la question longtemps, d'où ce mythe absurde puisqu'un schizophrène est dépouillé de sa capacité de structuration et ne peut donc guère espérer composer de textes tels que ceux qu'il a écrits - ;
Dick ne peut cela dit laisser indifférent quiconque le lit.
Dick travaillait en effet comme un forçat, pour gagner sa croûte chaque jour d'une vie entière et ne s'est que rarement laissé distraire. Il ne commençait à tirer les marrons du feu qu'à la sortie de
Blade Runner, l'adaptation de son roman
Do androids dream of electric sheep ?.
Pour tenir la distance, il n'aurait durant des années guère résisté à son habitude de l'automédication, voire même à ce que l'on dit, en faire matière pour ses écrits, notamment le LSD.
Tout cela se termina peu après par une envolée spirituelle,
La trilogie divine, au détour de
Substance mort ( adapté au cinéma sous le titre original éponyme
A Scanner Darkly ).
Tout cela est à rapprocher de son époque et du contexte historique.
ERWELYN -
Substance Mort, un des derniers voire même le dernier de ses bouquins, est aussi le second que je lisais de l'auteur (après
Blade Runner). Ce bouquin est sans aucun doute la confirmation de tout ce qui torturait ou influençait l'auteur. Il y a dans ce livre tous les éléments de l'essence dickienne : drogue, schizophrénie, dédoublement, mémoire, sur fond de thriller glauque et incertain.... J'ai bcp aimé.
Mais je dois redire que ce sont quand même encore et toujours les nouvelles que je trouve extraordinaires car dans ces livres, il y a toujours un moment où je m’ennuie, où j'ai l'impression d'être baladée sans pour autant que ce soit réellement nécessaire.
En fait Theyrani avait écrit quelque part que dans ses nouvelles, on devinait assez rapidement la chute et que tout résidait dans son style extrêmement captivant. C'est vrai mais du coup adapté à des ouvrages où l'on a aussi rapidement une idée de l'intrigue, il faut néanmoins se taper 250 pages.
Par exemple, actuellement j'ai délaissé
Le Dieu venu du Centaure. D'autant qu'il a écrit une nouvelle qui s'intitule
La poupée Pat, sujet aussi du livre. Franchement tout s'emmêlent.
Ubik, est très bien, mais là c'est le style qui n'est pas top, top.
Glissement sur Mars est génial parce qu'il développe un sujet qui me tient à cœur (Mars), mais la partie "humaine" et psychologique aurait aussi pu être plus simple.
Bref le romancier m'apparaît très inégal alors que le nouvelliste est grandiose.
CRYPTIDE - J'ai lu les nouvelles de
PKD (un gros volume de 1400 pages édité par Lunes d'encre, avec 52 nouvelles couvrant la période 1953 - 1981, ouf !) et, chemin faisant à travers ces pages, j'aurais tendance, comme Erwelyn, a préféré au fond le
Dick nouvelliste au
Dick romancier. Pourtant,
Dick n'est pas le meilleur dans cet exercice (des auteurs comme Shecley, Matheson, me semblent plus doués pour vous ficeler une histoire courte percutante) mais si je compare avec les romans, je constate que les nouvelles de
Dick ont l'avantage d'exposer clairement ses idées et d'entrer directement dans le vif du sujet.
Par comparaison, ses romans sont pleins de digressions inutiles - que je trouve même souvent ennuyeuses - du genre problèmes de couples, quête du pouvoir ou du rang social entre employés dans l'entreprise, dialogues nombreux qui donnent souvent l'impression de tourner en rond ou monologue intérieur du même tonneau. De plus, les intrigues de ses romans sont souvent bancales et
Dick peine à rassembler toutes les directions prises en un tout suffisamment cohérent. Avec les nouvelles, au moins, qui se contentent souvent d'un thème unique et en exploite les conséquences, on échappe à toute cette confusion.
Dick est surtout un brasseur d'idées, un spéculateur, qui aime se poser la fameuse question : et si ?
Dick se voyait d'ailleurs lui-même comme "une machine à spéculer sur l'univers". Le format roman l'oblige à remplir les 250 pages minimum en y intégrant, comme je l'ai dit, des éléments empruntés au mainstream et ce n'est pas toujours d'un résultat très heureux.
Les nouvelles semblent finalement mieux lui convenir. En tout cas, je constate aujourd'hui qu'elles suscitent davantage mon intérêt que beaucoup de ses romans.
Une bonne occasion pour moi d'ailleurs de redécouvrir cet auteur.
Quand à la question de savoir si
Dick est un auteur surestimé, je pense que oui (même si je l'ai beaucoup lu à une époque) et en particulier certains de ses sois-disant "chefs-d’œuvre". On prend souvent comme arguments que
Dick écrivait dans des conditions difficiles. Soit. Mais n'était-ce pas aussi le cas de bien d'autres auteurs SF à la même époque ? En outre, ce qui est un peu agaçant est ce consensus créé autour de
Dick par les critiques et les intellos gauchistes des années 70, relayé aujourd'hui par tous les dicos de SF qui le proclame "plus grand auteur SF de tous les temps" (opinion très discutable). J'ai souvent l'impression que les gens n'osent pas dire du mal de
Dick et préfèrent s'aligner sur ce consensus. C'est pourquoi je trouve agréable de trouver ici des avis bien plus nuancés sur cet auteur et certaines de ses œuvres "inattaquables " (comme "le maître du Haut-Château"). Peut-être avons-nous plus de recul aujourd'hui que les lecteurs des seventies, trop enclins à le porter aux nues.
Un exemple :
J'ai récemment lu
Le dieu venu du Centaure (seul "chef-d’œuvre" de
Dick que je n'avais pas encore abordé) et j'avoue que je m'y suis franchement ennuyé. Je n'ai pas trouvé dans ce roman tout ce que son postulat de départ promettait - ce qui malheureusement est souvent le cas avec cet écrivain. Je m'attendais à un roman vertigineux et effrayant, à un trip aux visions troublantes générées par la drogue K-Priss et aux univers imbriqués. Au lieu de quoi,
Dick se concentre surtout sur les problèmes de couple de son personnage central (encore et toujours) et sur le conflit commercial qui oppose Léo Bulero à Palmer Eldritch. Les cent premières pages ne nous parlent quasiment que de ça (et la figure effrayante d'Eldritch n'apparaît elle aussi qu'à ce moment-là) ! Tout au plus a-t-on droit à une (une, en cent pages !) scène plus ou moins mémorable où Bulero se retrouve dans l'illusion créé par Eldritch. Puis l'intrigue piétine à nouveau, entre introspection maladive de Barney Mayerson (qui se prend la tête avec une autre femme, jolie dévote) et la vie dans les clapiers martiens, où cette fois les illusions dont est victime Mayerson sous K-Priss nous renvoie... à nouveau vers ses problèmes avec son ex-femme !
Ce roman me fait presque penser à un soap névrotique (amour et entreprise connaissent la crise !), avec quelques scènes oniriques plutôt banales. Rien à voir avec, je cite "un véritable cauchemar qui semble avoir été écrit sous LSD" dont parlait Denis Guiot, et tant d'autres. Quant au contenu "philosophico-métaphysique" sous-jacent, il se fait plutôt discret comparé à toute cette béchamel sentimentalo-commerciale.
J'ai davantage apprécié d'autres romans de
Dick, pourtant bien moins considérés ("
L’œil dans le ciel", "
Blade Runner", "La vérité avant-dernière" ou même "
Dedalusman man" qui avait le mérite de l'humour).
Sur un thème très proche du "dieu...", je conseillerais plutôt "
L'arbre à rêves" de
James Morrow, roman sans ambition (pseudo)métaphysique mais autrement plus excitant dans le registre onirique.
ERWELYN - Tu as repris le même exemple que moi
Le dieu du Centaure. Je l'ai carrément abandonné et dieu sait que je n'aime pas arrêter un livre. Mais j'avais vraiment l'impression de perdre mon temps.
Je suis contente que tu te sois intéressé de plus près aux nouvelles. Tu as raison de l'opposé à
Matheson. Toutefois je les mets à pied d'égalité mais pas pour les mêmes raisons.
Ce qui nous ennuie dans les romans de
Dick font sa force en matière de nouvelles. Bien que ces dernières soient moins alambiquées, elles possèdent toutes (en grande partie évidemment) une grande force émotionnelle. Elles sont souvent empruntes de cruauté et de violence. Et si ces actes ne sont pas toujours physiques, ils apparaîtront psychologiquement.
Dick y dénonce l'agressivité innée de l'homme, ses dérapages, ses psychoses, sa paranoïa et pire sa certitude d'être l'être le plus évolué de la galaxie. La peur de l'autre comme de soit-même est aussi très forte dans son œuvre.
Des nouvelles comme
Le Wub ou
Une nuées de martiens sont très violentes. La première peut presque sembler drôle au début, alors qu'en fait elle est terrible ! La deuxième est d'une cruauté à toute épreuve.
J'ai bcp lu
Matheson, et j'y reviendrai. Comme pour
Dick et bien d'autres, j'aborde les nouvelles de façon thématique en fonction des mises à jour q je fais sur le site. Et c'est là aussi que l'on voit les tendances des uns et des autres ressortir. Je dirai q
Dick est plus un auteur de SF et
Matheson de fantastique bien que chacun aient abordé les deux genres avec autant de brio !
Matheson pour moi reste attaché à la quatrième dimension et à des œuvres cinématographiques tirées de ses romans :
L'homme qui rétrécit, La maison des damnées, Je suis une légende et dont il a écrit lui-même les scénarios. En tant que nouvelliste, il fait partie avec
Robert Bloch (surtout connu pour son roman
Psychose) des maîtres de la chute ! Celle qui fait tellement défaut de nos jours et particulièrement dans la nouvelle française (et non francophone : car les québécois eux savent encore le faire). Mais c'est un autre débat : celui de la culture et de l'héritage littéraire.