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Le silence s’installa dans le bureau que le soleil de fin d’après-midi illuminait de ses rayons. Les bruits de Paris étincelaient dans l’air. Le colonel et son agent échangèrent ce regard qui n’appartient qu’à ceux qui connaissent le prix de la liberté, pour que la population puisse vaquer à ses occupations, insouciante, protégée. L’instant était passé.
- Le Président envoie ses félicitations pour la mission.
- Merci. Les otages vont bien ?
- Oui, les passagers sont tous rentrés chez eux, encore un peu groggy de la drogue qui les avait assommés. Les hommes que vous avez capturés sont au frais. L’équipage du navire est toujours en débriefing. La D.C.R.I. va surveiller tout ce petit monde au cas où. On essaie également de calmer la meute de journalistes.
- J’en suis heureuse.
- Vous avez fait du bon boulot. Prenez quelques vacances. Retournez chez-vous.
- Charles, je n’ai pas de chez-moi. Tu... Vous le savez bien..., murmura-t-elle.
Etcheverry hocha la tête devant la tristesse soudaine de son agent.
- Reposez-vous. Un mois. C’est un ordre.
Elle se leva et se dirigea vers la porte.
- Helena...
Elle se retourna et regarda le Vieux, assit derrière son bureau.
- Faites attention à vous.
- Oui Charles, acquiesça-t-elle.
- Quant elle choisit ses missions, elle ne les lâche pas. Selon ses principes, son sens du devoir, dit Etcheverry.
Ils s’étaient approchés de la fenêtre donnant sur les Champs-Élysées. Ils regardèrent leur agent sortir du bâtiment. La ministre souffla sur le café brûlant et répondit :
- Elle souhaite faire le bien. Comme elle le fit pour vous, Etcheverry. N’est-ce-pas ?
Le Vieux montrait une fatigue extrême. Néanmoins un léger sourire éclaira son visage. Hochant de la tête, il soupira :
- La seule façon de donner un sens à sa vie. Elle a toujours été comme ça.
Faisant attention à ne pas s’entailler les mains, elle étendit le blouson sur le rebord de la verrière qu’elle enjamba. Puis, elle s’assit à califourchon sur le blouson.
- Julie, s'écria-elle en se précipitant et se jetant dans ses bras. Elle se mit à pleurer. Helena la berça quelques instants, puis la regarda intensément, droit dans les yeux.
- Vous allez bien ?
L'hôtesse acquiesça et avala un dernier sanglot. Helena essuya ses larmes.
- Julie, vous nous avez sauvés.
- Pas tous malheureusement.
- Oh Julie... En plus de Pierre et Jean, trente huit morts, dont dix-sept disparus éjectés hors de l'avion. L'une de mes collègues... Deux rangées de sièges arrachées sur le pont supérieur. Une centaine de blessés.
Helena, qui connaissait déjà l’état des pertes humaines, hocha la tête longuement, regarda intensément l’hôtesse et posa la question :
- Annie, je n’étais pas à bord... Vous comprenez ?
- Oui, Julie.
La réponse fut accompagnée d'un triste sourire. Ses lèvres tremblaient encore. L’hôtesse saurait se taire.
- Bien.
- Vous reverrai-je ?
- Un jour, peut-être, conclut Helena en embrassant la jeune femme sur le front.
Lumière douce, chaude, aveuglante, arc-en-ciel de couleurs, tourbillons furtifs de sensations, brûlures qui disloquent l’âme, peur soudaine de la barrière, de la frontière de son esprit, de ses souvenirs enfouis, inaccessibles, douleur de la perte des siens, perdus dans le temps éparpillé en minuscules gouttes de rosée à la surface d’un océan déchaîné, rugissement du néant, trou noir qui aspire le bord d’une galaxie mourante, violente accélération vers un brasier extraordinaire, vision infernale déchirée par des cris et des hurlements, puis le silence, assourdissant mouvement des planètes, caresse d’une onde, musique de l’eau qui court, une fleur s’ouvre, une feuille chatoyante se courbe sous le vent, se détache et s’envole vers la douce lumière.
Helena essuyait encore ses larmes en se glissant sous les draps. La douleur éperdue était revenue. Elle voulait crier, mais quoi ? A qui ? Aussi loin que remontaient ses souvenirs balayés par le temps, elle avait été interminablement seule.
Elle le serait toujours. À jamais.
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